2 ans auparavant, Claire Gustafson

Un soir, Morgan passa au hangar afin de démonter du matériel de location dans le but de le restituer. Elle se dépensa sans compter deux bonnes heures pour ranger dans leurs caisses des appareils que le loueur devait passer prendre le lendemain. C'était un travail presque purement physique qui lui faisait du bien. Elle finit en empilant avec soin les caisses près de l'entrée. En franchissant la porte du hangar, elle vit que quelqu'un l'attendait dehors. Une sueur froide lui inonda le dos. Dans la lumière jaunâtre de l'éclairage public, Morgan vit que son adversaire était une blonde de taille moyenne, athlétique, et peut-être aussi un peu ronde, bronzée, moulée dans un de ces pantalons à taille basse redevenus à la mode. Elle était adossée à une grosse voiture noire garée juste devant le hangar dans la rue par ailleurs déserte. Elle attendit pour s'avancer le moment où Morgan se dirigea vers sa voiture. Elle cachait son regard derrière de grandes lunettes sombres, Morgan devina que la fille était instrumentée de la tête aux pieds. Elle tenait à la main un objet rectangulaire noir. Quand elle fut à deux mètres de Morgan, elle le montra brièvement. C'était un badge. Morgan vit le sigle, l'aigle de l'ASI, les barres qui donnaient le grade : capitaine. Elle dit dans un anglais sans accent :

— Claire Gustafson, Sécurité Intérieure. Capitaine Kerr, je voudrais avoir une conversation avec vous.

Morgan ne put s'empêcher de regarder aux alentours. Elle s'attendait à voir surgir d'autres policiers. Elle se vit prise, menottée, poussée à l'arrière d'une voiture qui bientôt serait partie aux lueurs mouvantes d'un gyrophare. Elle se força à rester calme. La blonde la dévisagea, la déshabilla même, de la tête au pied. Morgan portait un jean et un tee-shirt, le tout était usagé et maintenant maculé de sueur, taché d'huile et de poussière, à la limite du crasseux. Morgan avait horreur de cela. La blonde avait un petit pli de capiton qui menaçait de passer par dessus la ceinture de son pantalon et deux vergetures très visibles de chaque côté du nombril sur son ventre découvert par son corsage court. Depuis quelques années, il était à la mode pour celles qui avaient eu des enfants de le montrer. Morgan lui donna trente-cinq ans. Elle avait l'air franchement mignonne, avec un petit visage équilibré et doux, malgré un nez un peu trop grand et un peu busqué. Morgan imagina qu'elle devait avoir des yeux clairs derrière les lunettes. Morgan paria sur du bleu. La blonde rangea machinalement son insigne dans sa poche, mais c'était un geste calculé pour que le pan de la veste s'ouvre et que Morgan vît à l'intérieur l'étui et l'arme, un pistolet pendu à l'envers sous son bras. Morgan reconnut la crosse en titane usiné : c'était l'arme de service pour les officiers de l'ASI habilités à en porter une. Morgan en possédait une identique dans un coffre à Almogar, un automatique 7,65 millimètres de fabrication tchèque, chargeur de 12 balles, une arme de guerre redoutable que Morgan n'avait pas l'autorisation de porter hors d'une enceinte de l'ASI. La blonde ordonna avec calme :

« Il y a un café à un kilomètre au sud, sur Tasman Drive, à gauche. Il s'appelle le Flying Dutchman, devanture orange vif, une maquette de navette sur le toit. Ils sont encore ouverts. Prenez votre voiture et allez vous y installer, au fond, à droite en entrant. Commandez deux cafés.

— OK, répondit Morgan et l'autre la regarda partir vers sa voiture. Morgan se força à respirer, en sentant le regard de la blonde sur ses fesses. Il ne fallait pas qu'elle montre sa peur. Elle démarra et conduisit en prêtant la plus grande attention à respecter le Code de la route. Derrière, la blonde suivait dans sa limousine électrique en carbone-kevlar. Elles avaient fait à peine vingt mètres quand l'implant de Morgan lui signala qu'il venait de perdre la connexion après un dernier message :

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Abonnement suspendu en application d'une commission rogatoire émanant des forces de sécurité de l'ASI, juridiction de l'astroport d'Almogar.

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Au Flying Dutchman, désert, Morgan eut juste le temps de commander les cafés, la blonde s'installa en face d'elle. Elle retira ses lunettes qu'elle plia avec soin avant de les accrocher par une branche au col bateau de son corsage. Noirs. Elle avait d'immenses et intenses yeux noirs, vifs et intelligents, maquillés avec art, doux et sublimement princiers. Morgan comprit que la blondeur, le nom à consonance nordique, étaient deux fausses pistes, que cette fille devait être originaire du Moyen-Orient ou d'Afrique du Nord, et que ce que Morgan avait pris pour du bronzage était une pigmentation tout à fait permanente, génétique. Cela lui faisait au moins un point commun avec Morgan dont le prénom, le patronyme et la couleur de peau pouvaient paraître tout aussi improbables. Du coup la blonde lui parut moins redoutable. Celle-ci se pencha vers Morgan, ses seins pressés dans le coton blanc de sa chemise laissaient deviner le motif alambiqué des broderies de son soutien-gorge.

— Bon. Allons-y. Par où allons-nous commencer ?

Morgan baissa les yeux vers la table en bois artificiel vitrifié et rayé par des années d'usage. Sous la surface transparente s'étendait une carte de la baie de Santa-Maria où Morgan chercha d'instinct sa maison. Son implant se déclencha par similarité et aligna le tracé de la côte à la vitesse stupéfiante habituelle. Morgan trouva aussitôt le petit carré noir dans la pente face à la mer. Elle pensa : c'est comme ma vie, une petite marque anonyme. La blonde dit :

« C'est intéressant ce que vous faites dans ce hangar, très intéressant.

Comme Morgan ne répondait pas, elle poursuivit :

« Comme je n'y connais rien, j'ai fait venir un expert pour jeter un œil, et me dire de quoi il s'agissait.

Morgan restait silencieuse. Elle se demanda comment ils avaient fait pour entrer et ressortir sans laisser de traces, mais il ne fallait pas être naïf, les forces de l'ordre disposaient du summum de la technologie. L'autre poursuivit :

« Vous savez ce qui m'a mis sur votre piste ?

Morgan secoua la tête.

« Un flic, fit la blonde. Un flic de Santa-Maria qui enquête sur un psychopathe. Incroyable, non ?

La blonde se caressa le menton.

« Si je vous dis : Michael. Vous voyez de qui je veux parler ?

Morgan haussa les sourcils.

« J'ai des vidéos de cet adolescent entrant dans ce hangar. Je dirais que vous l'avez employé pour faire des menus boulots d'informatique. Mais revenons au psychopathe. Figurez-vous, Capitaine Kerr, que ce dangereux psychopathe à la poursuite duquel mon collègue de Santa-Maria est depuis des mois, est soupçonné d'avoir commis un homicide sordide sur la personne d'une transsexuelle nommée Zebra, qui était une amie d'une certaine Ada, qui est elle-même la petite amie du dénommé Michael. Drôle de coïncidence, non ?

Morgan resta impassible.

« Et je vais vous apprendre que le dangereux personnage en question est fiché depuis des années, qu'il a laissé traîner son ADN sur un nombre impressionnant de scènes de crimes, et que d'après toutes les enquêtes subséquentes, sa tactique est connue : il rode autour de ces futures victimes de façon systématique. Il rôde des jours et même des semaines. D'accord ? Or, il y a quelques semaines, notre psychopathe patenté a agressé une autre personne que vous connaissez, que vous connaissez même très intimement, si vous me permettez de décrire ainsi la situation, une femme qui s'appelle Lise Wang. Du coup, il est venu à l'idée de mon collègue que le chaînon manquant entre ces deux affaires... C'était vous ! Qu'en pensez-vous ?

— Rien.

Le robot serveur apporta les cafés. Quand il fut reparti, la blonde reprit :

— D'accord. Je vais vous dire la vérité : mon collègue de Santa-Maria pense que vous avez buté ce dangereux salopard. Du coup, il aurait bien aimé inspecter votre maison de près. Car, vous ne le savez peut-être pas, mais, avec les techniques modernes, il est quasi impossible que la mort d'un homme ne laisse aucune trace. En particulier, s'il y a eu du sang... On le saura. C'est pour cette raison qu'il est venu me voir. Vous êtes un officier de l'ASI. La procédure requiert de passer par nous pour obtenir un mandat de perquisition. C'est pour cette raison que nous nous sommes intéressés à vous et là... tss, tss, fit-elle entre ses dents.

Elle tapota quatre fois la table du bout de l'ongle de son index, en un point à mi-chemin entre elles :

« Je suis tombée sur votre hangar, Capitaine Kerr. Et...

Elle se recula en serrant le bord de la table de ses mains gracieuses. Puis, elle s'avança de nouveau pour taper une fois encore du bout de son ongle sur la table, quatre fois.

« Là, on n'est pas dans le domaine de la conjecture, Capitaine Kerr. Vous voyez ce que je veux dire ?

— Non, répondit fermement Morgan. Le visage de la fausse blonde s'assombrit d'un seul coup. Elle glissa sa main dans son dos et en sortit une paire de menottes qu'elle plaqua avec violence sur la table, faisant sursauter Morgan.

— Fini de jouer, fit-elle avec sévérité. Morgan eut une sorte de vertige. Elle se dit : alors, c'est ainsi que cela se passe ? Et elle pensa à Esmeralda et à Lise, qu'elle ne tiendrait peut-être plus jamais dans ses bras. L'autre ajouta brutalement :

« Capitaine Kerr, vous nous prenez pour des demeurés ? Vous avez fabriqué une installation de réemballage de colis qui vise à tromper les systèmes de contrôle d'une navette spatiale de type StarWanderer. C'est un acte qui tombe sous le coup des directives antiterroristes ! Le reconnaissez-vous ?

Leurs regards s'affrontèrent. Morgan sentait la sueur qui coulait dans son dos. Puis, comme la blonde ne se levait toujours pas pour lui passer les menottes, il y eut un instant de flottement où elle se demanda : et maintenant ? Elle fronça les sourcils. La blonde bluffait depuis le début. Le problème n'était pas de savoir s'ils avaient ou non des preuves. La vérité était qu'ils n'avaient pas l'intention de lui faire passer la nuit en prison. Sinon, pourquoi la faire venir dans ce café ? Elle sourit de son sourire le plus féroce, et la blonde la regarda. Elle feignit plusieurs secondes d'être furieuse, avant, transformation incroyable, de sourire à son tour, en baissant les yeux, en se reculant contre le dossier. Elle fit disparaître les menottes sous le rebord de la table. À ce moment-là, Morgan réalisa que l'on venait de jouer avec elle comme un chat joue avec une souris. Elle respira pour retrouver son calme et demanda :

— Que voulez-vous au juste ?

La blonde rangea ses menottes dans son dos et répondit en soupirant :

— Mon chef va vous expliquer cela.

Un homme était entré dans le café, à coup sûr la blonde l'avait fait venir. Le type était un grand chinois très maigre, la cinquantaine largement passée, il vint s'asseoir à côté de la blonde, qui se glissa sur le banc pour lui faire de la place. Il posa sa plaque sur la table devant Morgan. Elle indiquait qu'il avait le grade de Major. Morgan fit une recherche sur le nom dans la copie de l'organigramme des cadres supérieurs d'Almogar qu'elle avait dans l'implant. Cet homme était le chef du contre-espionnage de la Sécurité Intérieure de l'ASI pour la base d'Almogar. Il se tourna vers la blonde et dit à Morgan, en chinois :

— J'utilise le chinois parce que je sais que vous maîtrisez cette langue, ma langue maternelle, et que cela me donne l'assurance de me faire parfaitement comprendre. Est-ce que cela vous convient ?

Morgan hocha la tête, il poursuivit :

« Nous savons que vous êtes victime d'une manipulation. La nature et les détails de cette manipulation nous sont encore inconnus, mais il est évident que celle-ci intéresse au plus haut point notre mission, qui est la sécurité des personnes et des biens de l'ASI, sur Terre et dans l'Espace.

Il hocha la tête pour marquer l'importance de ce préambule et d'instinct Morgan l'imita pour lui prouver qu'elle avait compris, qu'elle l'écoutait attentivement. Il poursuivit :

« Dans un cas comme le vôtre, nous avons deux types de réponses. Dans une première catégorie de situations, nous opérons de façon préventive. Cela signifierait que vous seriez en état d'arrestation, et que la tâche d'éclaircir cette affaire serait confiée à la justice, et croyez-moi, votre vie deviendrait misérable.

Il la regardait droit dans les yeux, il jouait à paraître froid. Morgan eut un frisson dont elle espéra qu'il ne le vit pas. Il poursuivit :

« Le deuxième type de réponse consiste à prendre le contrôle de la manipulation pour la tourner à notre avantage par tous les moyens possibles, et en particulier à tenter de remonter à sa source.

Il resta silencieux à nouveau, sans la lâcher des yeux, comme un serpent. Il continua :

« La petite séance que Claire vient de vous faire subir avait pour objectif de tester votre sang-froid. Vous vous en êtes sortie très honorablement, ce qui me conduit à donner à Claire mon feu vert pour vous faire travailler pour nous. Vous me suivez ?

— Oui, fit faiblement Morgan

— Notez bien que je ne vous en offre pas le choix. Il soupira.

« En temps normal, je ne devrais pas avoir besoin de faire des menaces. Mais si les hypothèses de Claire sur la nature de votre personnalité sont exactes, il est utile que je vous avertisse solennellement : soit vous obéissez, soit on vous lâche. Or ma métaphore n'est pas exagérée si je vous dis que nous vous tenons par le fond du pantalon au-dessus d'un abîme infernal. Est-ce que vous comprenez ?

Morgan avala sa salive et hocha la tête :

— Oui.

Elle tremblait. Elle pensa : et Schwartz ! Elle aurait voulu lui mettre son poing dans la figure. Comme s'il lisait dans ses pensées, il reprit :

— Ne faites pas de bêtises, toute fuite est impossible ! En particulier nous avons découvert qu'ils vous ont fourni de vraies-fausses pièces d'identité, et nous les avons signalées. Détruisez-les, car leur détention ne pourrait vous apporter que des ennuis.

Il respira à fond et tapa à nouveau sur la table du bout de son index.

« Passons aux bonnes nouvelles.

Morgan haussa les sourcils :

— Des bonnes nouvelles ?

Il sourit.

— Mais oui, il y en a ! Jusqu'ici, vous étiez un traître, mais, à partir de maintenant...

Il tapa encore quatre fois de son index sur la table. Morgan devina qu'il avait donné ce tic à Claire.

« À partir de maintenant, répéta-t-il, vous n'êtes plus un traître, vous êtes un officier qui fait son devoir.

Il marqua une pause afin de laisser le poids de ses mots faire son chemin.

« À cette fin, nous prenons le contrôle des opérations. Autrement dit : fini le funambulisme en solo. Claire sera votre agent traitant. Vous lui devez une obéissance absolue. Absolue ! J'espère que je me fais bien comprendre ?

Morgan regarda Claire, dont le visage ne bougea pas d'un cil, et qui soutint son regard. Morgan y lut qu'elle était anxieuse de mériter sa confiance.

— Oui, fit-elle fermement.

— C'est aussi Claire qui vous aidera en cas d'imprévu et de coups durs. En particulier, et je suis certain que vous comprenez que cela fait une différence énorme, si vous êtes prise, nous vous couvrirons.

Morgan regarda Claire à nouveau et celle-ci lui esquissa un sourire. Le vieux chinois poursuivit :

« Mais nous devons, nous voulons tout savoir. Par contre, vis-à-vis de ceux qui vous manipulent, vous devez continuer comme si cette rencontre n'avait jamais eu lieu. S'ils vous informaient qu'ils ont eu vent de notre intervention, ce qui est malheureusement tout à fait possible, vous devrez sur l'heure et par tous les moyens nous en rendre compte. Claire va vous donner une explication complète sur la façon dont elle va traiter avec vous, et c'est par son truchement que vous devez rapporter.

Il se recula, Morgan devina qu'il lui restait une dernière carte à abattre. Il dit :

« Depuis des semaines, des mois, vous êtes à la merci d'une bande de manipulateurs, vous allez maintenant les trahir pour vous racheter, et c'est un ordre écrit.

Il extirpa de sa poche un papier qu'il déplia avec soin sur la table devant Morgan. Il lui laissa deux minutes entières pour le lire et le mémoriser. Il était très rare à l'ASI qu'un document se retrouve sur papier. Morgan y reconnut une symbolique forte de la part du chinois. Le texte mentionnait de façon explicite qu'en cas de révélation des activités illicites de Morgan, l'ASI ferait refaire surface à cet ordre de mission pour la blanchir en endossant la responsabilité de toute action répréhensible que Morgan aurait pu commettre dans le cadre de sa mission, qui était brossé dans le texte à grands traits assez vagues pour couvrir à peu près n'importe qu'elle trahison patente, à l'exclusion du pire. Autant que Morgan pût en juger, l'ordre avait toutes les apparences d'un texte formulé par un juriste compétent et avait été émis de façon authentique. Elle le prit en photo à l'aide de l'implant. La pièce avait été produite au bureau central des forces de Sécurité Intérieure de l'ASI à Genève et portait une longue clé numérique qui identifiait l'enregistrement de l'ordre. Morgan mémorisa avec soin cette clé dans son implant.

De façon étonnante, elle se sentait soulagée. Elle comprenait bien que cela faisait partie intégrante de cette deuxième manipulation : l'appel au sens du devoir et de l'honneur... encore le panneau patriotique, mais cette fois, la patrie des gens d'honneur de l'ASI. Elle accepta sur le champ de tomber dans ce piège-là. C'était culturel, elle y avait cru toute sa vie. Elle connaissait beaucoup de gens bien qui y croyaient. Certains y avaient cru jusqu'au bout. Ils en étaient morts, à l'assaut sous le feu de l'ennemi, ou dans les tôles tordues de leurs machines écrabouillées. Et Morgan aurait à coup sûr préféré risquer une mort violente, mais honorable, à la traîtrise anonyme qui l'avait torturée jusque-là. Cette fois-ci, se dit-elle, tu es du bon côté. Et puis elle se reprit : mais Schwartz, de quel côté ? Ne vas-tu pas continuer à faire la même chose ? Alors, elle leva les yeux pour trouver le regard de Claire, qui était attentive au point de paraître sévère dans la concentration. Est-ce qu'on peut te faire confiance ? lui demanda-t-elle du regard, et la fausse blonde aux grands yeux noirs de princesse assyrienne cligna des yeux. Morgan vit que ses jolies petites mains halées tremblaient un peu sur la table, tandis qu'elle se forçait à lui faire un sourire. Morgan plissa les yeux en la regardant, et elle pensa : c'est parti cocotte, à la vie, à la mort.

Le vieux Major chinois reprit le papier et le replia :

« Vous comprenez que je ne peux pas vous laisser ce document, pour votre propre sécurité. Il est évident que vos manipulateurs ont un accès direct et étendu à des informations émanant de la structure de commandement de l'ASI. Pour cette raison, il n'y aura que très peu de gens qui seront au courant de cette opération. À Almogar : uniquement Claire et moi. Les autres sont des gens au-dessus de moi, à Genève. Ils sont très peu nombreux. En particulier, le supérieur hiérarchique direct de Claire, le Colonel Durand, c'est un Français, n'est pas dans le secret, car nous le soupçonnons de n'être pas fiable dans cette affaire, même si nous sommes loin de penser qu'il y est impliqué. Je vous dis cela pour éviter qu'ayant affaire à lui, vous le mettiez dans le coup, ce qui pourrait être dangereux pour vous. Est-ce que c'est clair ? Morgan hocha la tête. Vous avez d'autres questions ? Morgan les regarda l'un après l'autre. Bien entendu, elle avait des dizaines de questions, elle demanda :

— Comment est-ce que cela va se terminer ?

Le vieux chinois haussa les épaules :

— Si vous jouez le jeu selon nos règles, vous vous en sortirez avec honneur. Que vous ont-ils dit sur la nature des cargaisons qu'ils voulaient faire monter en orbite ?

Elle leur dit tout ce qu'elle savait. Une heure plus tard, il conclut l'entretien :

— Capitaine Kerr, je vous laisse avec Claire, croyez-moi, vous êtes entre de bonnes mains. Suivez ses instructions et on vous sortira de ce piège.

Elle serra la main qu'il lui tendit. Il disparut dans la nuit derrière la porte à doubles battants du café.

La fausse blonde demanda à Morgan :

— Est-ce que vous avez du temps ? Je veux dire : maintenant ? Il serait préférable que nous abattions autant de travail que possible dès ce soir. Nous avons sécurisé cet endroit, autant en profiter. En effet, nous ne pouvons nous rencontrer ni à Almogar, ni chez vous. Voulez-vous passer un coup de fil pour prévenir que vous allez être en retard ?

— Vous m'avez coupé le téléphone.

La blonde sourit, ses yeux passèrent dans le vague. Elle avait un implant, elle aussi. Le téléphone de Morgan signala qu'il était à nouveau opérationnel. Morgan hésita, elle n'avait jamais appelé Lise devant personne, elle le fit en tremblant un peu, utilisa le chinois.

— Allo Lise ? Je vais rentrer très tard. Non, je ne sais pas. Je t'embrasse aussi.

La blonde lui sourit chaleureusement en lui montrant de belles dents très blanches, elle lui tendit résolument la main.

— Première chose : appelez-moi Claire.

Morgan serra sa main qui était ferme et chaude.

— Appelez-moi Morgan.